L'auteur

Titulaire d'un Doctorat en philosophie et d'une maîtrise en histoire, l'auteur est restée fidèle à ses deux «initiateurs» en philosophie, Nietzsche et Kierkegaard, mais admire tout autant Spinoza, Russell, Arendt...
Marie-Pierre Fiorentino

dimanche 31 décembre 2023

Le « plus fort », la « plus forte ».

 

« Certaines personnes s’aident elles-mêmes

en aidant les autres et cela les ragaillardit

parce que c’est exercer un pouvoir. »

Iris Murdoch,

Amour profane, amour sacré.

 

Le « plus fort », la « plus forte » sont la dernière digue derrière laquelle on s’abrite, confiant, quand toutes les remparts, qui nous paraissaient pourtant solides, ont cédé. Jamais on ne les verra pleurer ou, si des larmes brillent, leur retenue inspire le même respect que le diamant, inaltérable. Leur sourire, leur regard, droits plantés dans le nôtre, tendent un câble qui tient debout ceux dont personne ne peut soutenir le poids du désarroi.

Ils écoutent sans rien confier d’eux, que ce qui rassure. Seule leur lucidité est muette. Alors ils mesurent la parole, l’attention, la caresse à la dose qui les rend contagieuses, comme un rire salvateur. Ils ont murmuré et murmurent, pour soutenir jusqu’au bout, dans toutes les antichambres du mal – des chambres à gaz aux chambres de torture – dont la chronologie n’a ni début ni fin. Mais ici aussi, dans la banalité de toutes nos petites et grandes détresses quotidiennes, ils soutiennent sans se lasser.

Ils sont ceux sur lesquels on peut indéfectiblement compter.

 

Leur force se nourrit de la confiance quasi infantile qu’on leur accorde. Elle est peut-être née de la découverte que « papa » ou « maman », quand ils sont les noms que l’on crie dans le noir, n’étaient que les métaphores de ce qu’ils devraient produire eux-mêmes pour traverser, plus libres que d’autres, l’existence.

De là leur fierté, non pas la fierté qui les ferait se sentir supérieurs mais la fierté de se comparer à ce qu’ils étaient. Car le plus fort, la plus forte ont toujours été, initialement, d’une grande vulnérabilité dont ils ont décidé qu’ils ne resteraient pas les victimes.

D’ailleurs, ils savent qu’ils ne sont pas réellement « le plus fort », « la plus forte », endossant simplement ce rôle, puissants de l’abandon de tous ceux qu’ils protègent. Exercer un pouvoir ? Je ne crois pas sauf, peut-être, le pouvoir sur eux-mêmes, qui n’est pas le moindre.

 

Mais où s’abritent-ils, dans la tempête ? Dans cette sorte de devoir auquel ils s’obligent, par politesse, par gentillesse, par orgueil, par peur ? Qui sait si, comme le cheval imaginé par Ulysse, ils ne sont pas creux de l’intérieur, assiégés par ceux qu’ils portent ?

Et si un jour…

Chut… Cela ne doit pas se produire.

 

 

Le Garn, 2021 ? 2022 ? – 29 décembre 2023