L'auteur

Titulaire d'un Doctorat en philosophie et d'une maîtrise en histoire, l'auteur est restée fidèle à ses deux «initiateurs» en philosophie, Nietzsche et Kierkegaard, mais admire tout autant Spinoza, Russell, Arendt...
Marie-Pierre Fiorentino

mardi 30 juillet 2019

L'escargot.

Le nihiliste, disciple de Schopenhauer :

« Que l’odeur confinée de la bibliothèque où je me refugiais, sa lumière artificielle et le repliement sur soi que chacun y cultive me manquent ! Là, je me consacrais à de stériles études comme le moine se consacre à Dieu. Je pouvais ne pas exister.
Mais ici…! C’est presque chaque matin le même craquement sous l’un de mes pas et je me sens condamné à lui par mon médecin plus encore qu’à la marche soi-disant de santé. Je retire brusquement ma chaussure comme d’une braise corrosive mais où la reposer sans risque de broyer sous ma semelle une autre coquille rampante ? Piège abyssal de la terre qui n’est pas faite pour qu’on y pose le pied ni qu’on ne l’en retire. Les physiciens appellent la seconde de ces lois la gravité. Est-ce que ça les console ? Personne, pour avoir le droit de vivre, ne peut épargner sur l’écot à payer à la mort.
J’éclate d’un rire dérisoire : « j’ai tué un escargot. ». On rit aussi d’angoisse. Je continue d’avancer. L’immobilité n’est pas un luxe que l’humanité a les moyens de s’offrir. Il n’y a de toutes façons que le premier écrasement qui compte. 
Matière visqueuse que d’autres habitants de l’herbe doivent déjà assaillir, écaille disloquée dans la bave d’une ultime respiration : cet escargot est la trace éphémère que je laisse de sa vie et de la mienne. Matière à nourrir d’autres matières.
Il aurait suffi d’allonger mon pas ou de le raccourcir pour que sa vie soit prolongée. Mais qui sait si dans la même inconscience que moi, il ne serait pas passé un instant plus tôt, un instant plus tard ? Le destin ? Au moins supposerait-il une visée dès le départ fixée, peu importe par qui ou par quoi. Le hasard, lame d’acier aveugle. »

L’escargot :
« Plaisir de sentir, au sortir de ma coquille, mon corps éclaboussé de rosée dans le bruissement d’une forêt d’herbes. »

Le philosophe ?
« Je me suis, devant la mort et le hasard, souvent laissé couler dans la pensée liquoreuse de l’absurde. La réalité a concocté le même sirop pour capturer les mouches et les hommes voulant penser l’impensable.
Pourtant, si je n’ai pas choisi de vivre, j’ai la fierté d’avoir décidé d’exister. »



Lyon 6 avril 2017- Le Garn 30 juillet 2019