« Enfant naturel » : enfant
conçu hors mariage, né d’une mère célibataire ou adultère. Dans la société
traditionnelle, bâtard. L’enfant naturel, jusqu’à ce que la loi lui accorde les
mêmes droits qu’aux autres, ses frères et sœurs légitimes, était l’enfant que
la société bannissait parce que sa naissance n’était ni prévue ni prévisible.
« Père
naturel » : celui qui a semé la petite graine. Mais sûrement pas au
hasard nous raconte Schopenhauer dans la Métaphysique
de l’amour.
Car « naturel » signifie
précisément ici voulu par la Nature. Cette ordonnatrice commande aux individus,
via l’instinct sexuel enrobé par le
joli mot « amour », de s’accoupler pour engendrer les enfants les
plus réussis possibles du point de vue biologique en faisant fi de tous les obstacles
conventionnels. La Nature seule sait ce qui est bon pour la perpétuation de
l’espèce. Elle conduit donc chacun d’entre nous à être attiré par sa moitié la
mieux compatible « génétiquement ».
Cette métaphysique est navrante par ses
conséquences déterministes. Poussée au bout de sa logique, elle justifie
le viol pourvu qu’il produise un beau bébé, nie les amours homosexuelles nécessairement
stériles et les amours tardives pour la même raison. Quant à l’insertion de
cette métaphysique dans le grand système pessimiste du philosophe, sa cohérence
se heurte à ma résistance à tout réductionnisme.
Pourtant, en définissant les enfants
naturels comme enfants du « génie de l’espèce », Schopenhauer s’insurge
contre l’obscurantisme social et ouvre des champs symboliques riches. Il ne lui
échappe, pas plus qu’à nous, que nombre de héros mythiques ou réels, d’artistes
ou de savants sont des enfants naturels.
L’enfant naturel possède la seule
légitimité qui vaille, celle de la vie triomphante.
Alors dans une doctrine sombre où l’amour est
inéluctablement malheureux et le désir simple pulsion, la Nature impitoyable et
dominatrice, en faisant les choses mieux que les hommes, les éclaire. Si la
procréation en général est absurde aux yeux de Schopenhauer, celle de l’enfant
naturel fait sens pour moi.
L’enfant naturel est par-delà bien et mal.
C’est seulement en cela – mais n’est-ce pas déjà beaucoup ? - que dans les
pas du jeune Nietzsche découvrant la philosophie, j’apprécie cette Métaphysique de l’amour.
Par-delà bien et mal.
Le Garn, 25 décembre 2018.