L'auteur

Titulaire d'un Doctorat en philosophie et d'une maîtrise en histoire, l'auteur est restée fidèle à ses deux «initiateurs» en philosophie, Nietzsche et Kierkegaard, mais admire tout autant Spinoza, Russell, Arendt...
Marie-Pierre Fiorentino

dimanche 24 juillet 2016

Aux confins.

Confins, limite, extrémité, ce qui est encore de ce lieu mais presque déjà d’un autre.
Les confins, la marge – on désignait aussi par ce dernier terme des territoires éloignés qu’on reconnaissait pourtant siens – : là règnent les deux livres qui m’ont fait entrer en philosophie, Le Journal du séducteur, Ainsi parlait Zarathoustra.
Aussi bien puis-je situer leurs auteurs, Kierkegaard et Nietzsche, dans cette zone qui est frontière puisque la fin d’un lieu marque le commencement d’un autre comme la fin de la terre ( ce finistère ) est le commencement de l’océan.

Aux confins, le danois obsédé par don Juan et par Dieu, l’allemand féru de Grèce antique et ennemi du Christianisme, domestiquent des mots méprisés, délaissés, jamais cultivés par les philosophes sur les terres bi-millénaires et centrales de la raison.
Existence, décision, angoisse pour le premier ; idoles ( à détruire ), vie, nouvel infini pour le second. Leurs œuvres qui se proclament souvent contre la philosophie sont éminemment philosophiques si philosopher, c’est s’étonner, dénoncer, provoquer à coup d’analyses et d’arguments.

Aux confins kierkegaardiens et nietzschéens, ces concepts nouveaux s’étirent en une plastique inattendue : images poétiques, chants, dialogues et journal chez l’un, aphorismes chez l’autre. Les idées à contre-courant méritent des formes dans les courants où on ne les attend pas.
Et « De la musique avant toute chose » [1] !
Don Giovanni n’est pas réduit par le musicien Kierkegaard à un exemple, il est matériau philosophique comme les compositions de Rossini ou de Bizet pour le musicien Nietzsche.

Quant à Johannès, le fameux séducteur, ou Zarathoustra, ils sont leurs créations, leurs créatures.
Comment ? Le philosopohe crée des personnages ? Mais il n’est alors plus philosophe ! Il est romancier, il est littératteur, il est artiste. Pire, ne serait-il pas autobiographe masqué ?
Kierkegaard et Nietzsche ? Trop sensuels, trop sensibles, trop lyriques, trop centrés sur eux-mêmes, leurs amours impossibles et leur incapacité à vivre dans leur monde.

Aux confins, à la marge, marginaux donc.
Deux auteurs et deux œuvres impossibles à définir.
« Définir » ? Fixer un cadre, des limites, circonscrire pour éviter toute dérive vers les confins.



Le Garn, juillet 2016.






[1] Paul Verlaine, « Art poétique » dans Jadis et naguère ( 1884 ).