Confins,
limite, extrémité, ce qui est encore de ce lieu mais presque déjà d’un autre.
Les
confins, la marge – on désignait aussi par ce dernier terme des territoires
éloignés qu’on reconnaissait pourtant siens – : là règnent les deux livres qui
m’ont fait entrer en philosophie, Le
Journal du séducteur, Ainsi parlait
Zarathoustra.
Aussi
bien puis-je situer leurs auteurs, Kierkegaard et Nietzsche, dans cette zone
qui est frontière puisque la fin d’un lieu marque le commencement d’un autre
comme la fin de la terre ( ce finistère )
est le commencement de l’océan.
Aux
confins, le danois obsédé par don Juan et par Dieu, l’allemand féru de Grèce
antique et ennemi du Christianisme, domestiquent des mots méprisés, délaissés,
jamais cultivés par les philosophes sur les terres bi-millénaires et centrales
de la raison.
Existence,
décision, angoisse pour le premier ; idoles ( à détruire ), vie, nouvel infini
pour le second. Leurs œuvres qui se proclament souvent contre la philosophie sont
éminemment philosophiques si philosopher, c’est s’étonner, dénoncer, provoquer
à coup d’analyses et d’arguments.
Aux
confins kierkegaardiens et nietzschéens, ces concepts nouveaux s’étirent en une
plastique inattendue : images poétiques, chants, dialogues et journal chez
l’un, aphorismes chez l’autre. Les idées à contre-courant méritent des formes
dans les courants où on ne les attend pas.
Don Giovanni n’est pas réduit par le
musicien Kierkegaard à un exemple, il est matériau philosophique comme les
compositions de Rossini ou de Bizet pour
le musicien Nietzsche.
Quant
à Johannès, le fameux séducteur, ou Zarathoustra, ils sont leurs créations,
leurs créatures.
Comment
? Le philosopohe crée des personnages ? Mais il n’est alors plus philosophe !
Il est romancier, il est littératteur, il est artiste. Pire, ne serait-il pas
autobiographe masqué ?
Kierkegaard
et Nietzsche ? Trop sensuels, trop sensibles, trop lyriques, trop centrés
sur eux-mêmes, leurs amours impossibles et leur incapacité à vivre dans leur
monde.
Aux confins, à la marge, marginaux donc.
Deux auteurs et deux œuvres impossibles à définir.
« Définir » ? Fixer un cadre, des limites,
circonscrire pour éviter toute dérive vers les confins.
Le Garn, juillet 2016.