À ma Muse
« C’est éros,
l’amour qui prend, et tout amour commence là ( ... )
C’est philia,
l’amour qui donne, qui protège, qui se réjouit et partage ( ... )
Éros est premier, toujours, et le
demeure.
Mais philia
en émerge peu à peu, qui le prolonge. »
André Comte-Sponville, Dictionnaire philosophique.
La
voix : Pourquoi n’y a-t-il pas de déclaration d’amitié comme il y a de
déclaration d’amour ?
Une
voix ( celle du bon sens ) : Pourquoi une déclaration ? Se déclarer
n’est-il pas un pis-aller ? La déclaration d’amour a tellement d’inconvénients
que vouloir l’étendre à l’amitié est absurde. L’amitié se sent, elle n’a
pas besoin de se dire.
La
voix : Serait-elle donc un sentiment plus subtil qui se passe des mots ?
Une
voix ( celle de la dérision ) : Ou plus
futile qui ne mérite pas de mots.
La
voix : Il ne faudrait donc pas dire « je t’aime » à mon ami ?
Une
voix ( celle du sens commun ) : Mais si tu y songes, est-il ton ami ?
Camaraderie, amitié, amour, passion... Ne confonds pas tout. Dis-le lui et il
comprendra « tu es plus qu’un ami ; je suis amoureux de toi ; je
désire ton corps. »
La
voix : L’amour ne serait donc qu’érotique.
Une
voix ( celle du sens commun ) : Oui, physique, sexuel.
La
voix de l’amateur de Platon : C’est vite dit. Il y a bien plus que le sexe dans
Éros. Éros est le désir de tout ce qui nous manque de beau, le désir de savoir,
le désir d’immortalité que l’on peut combler par la création, qu’elle soit
matérielle ou intellectuelle.
Une voix ( celle de l’apprenti en philosophie ) : Mais alors
pourquoi dire « philosophe », ami de la sagesse et pas
« érosophe », amant de la sagesse puisque la sagesse est ce que la
philosophie a placé de plus haut ?
Silence
: l’apprenti philosophe attend une réponse de l’amateur de Platon que la
question a laissé sans voix - s’est-il seulement avisé, celui-ci, qu’être
amateur, c’est encore aimer ? Le sens commun est offusqué : amour platonique,
c’est bien sans sexe, non ? Donc c’est de l’amitié. Pourquoi chercher plus loin
? Le bon sens et la voix se sont laissés surprendre par le tour qu’a pris la
question.
Une
voix ( celle du sens commun qui pourrait aussi bien être celle de la dérision
) : Mais pourquoi cette obsession des mots ? Aime, jouis ou sois abstinent, pourvu que tu
te taises.
La
voix : Je jouis de tant de volubilités amoureuses. Les notes dont les
musiciens composent leurs airs jetés au vent comme des graines. Les vers que
les mémoires récitent. La prose et les images qu’elle inspire et même dans ces
cartes du ciel où les astronomes relient en galaxies des étoiles que leur
solitude a émus et tous les hurlements bruissants de la nature. Et ma main
entrelacée à la sienne. À l’ami aimé, à l’amant de mon âme, « je
t’aime » dira que je prends et donne la réciprocité de nos confiances à nu
dans un dialogue murmuré à l’infini.
Le Garn, mars
2016.