À ma Muse.
La beauté physique,
indépendamment des critères esthétiques en cours dans une société ou des goûts
individuels, est la puissance d’attraction exercée par les corps jeunes et bien
portants, puissance d’autant plus poignante qu’elle est inconsciente car elle
ne se révèle qu’à ceux qui l’ont perdu. Elle est l’éclatante dénonciation du
temps révolu pour ceux dont la gorge se serre en l’admirant.
Mais cette
attraction est-elle autre chose que la nostalgie de son propre corps, de sa
propre personne jadis – et ce jadis n’est qu’hier – étrangère à la réalité du
temps ? Est-elle autre chose que l’instinct de survie se révoltant contre l’inéluctable,
autre chose que l’excitation des sens soulagés d’éprouver encore une
stimulation sans s’apercevoir que celle-ci, en tentant de prolonger ce qui ne
peut l’être, accélère sa disparition ?
Tomber amoureux
d’un corps jeune lorqu’on ne l’est plus soi-même, le désirer, le posséder :
érotisme du pauvre qui s’est laissé ruiner par les ans sans avoir rien su leur
prendre en échange. Aimer ainsi, c’est esclavage de vampire, illusion de
désespéré qui s’ignore.
Probablement Platon
l’avait-il compris, lui qui invite à ne pas consommer de la chair fraîche mais
à idéaliser la beauté qui s’en dégage pour la transcender en Beauté
spirituelle. Mais en libérant le désir de la prison du corps, dont la beauté
n’est qu’un épisode, il l’enferme dans la prison de l’esprit où son mystère la
rend plus envoûtante encore.
Imaginons un désir
d’un autre genre que ces deux-là où la beauté physique ne serait pas le motif ni
la beauté spirituelle le but. Ce désir assumerait de se réaliser sans se consumer
de ne pas l’être car il aurait la puissance d’être sa propre fin, en toute
lucidité. Il ne serait plus manque ni souffrance mais plaisir. Alors nous
appelerions beauté non pas une cause extérieure mais notre propre création, non
pas notre dépendance à un idéal physique ou moral mais notre liberté dans
l’immanence. Nous deviendrions, en quelque sorte, des spinozistes de la
création belle.
Le Garn, 8-10 janvier 2016.