“ Celui qui
croyait au Ciel,
celui qui n’y croyait pas. ”
Aragon
Les figures de Spinoza et de Voltaire émergent d’un lit de
nuages épars.
Voltaire reconnaît, en bas comme surgis d’un coin du papier,
des fanatiques sanguinaires et sanglants.
Autrefois Calas, de la Barre et tous les corps suppliciés par
l’Inquisition et la Saint Barthélémy.
Spinoza aussi a repéré ces fanatiques et, survivant
chanceux, tâte son épaule poignardée. C’était l’époque de la tyrannie, de la
théocratie, de l’intolérance et des guerres de religion, de la haine absurde
née de la superstition.
Au nom de Dieu.
Le nom de Dieu semble éternel, alors
pourquoi les hommes cesseraient-ils de le brandir pour massacrer ?
Parce que c’est écrit dans les textes
sacrés.
Les textes sacrés ! Spinoza s’insurge.
Qui a réellement compris ces récits
historiques, mythologiques, ces lois et ces prophéties durant tant de siècles
recopiés, déformés, traduits ? Qui, de toute la force de sa raison, a cherché à
en restituer le sens ?
Dieu ? Providence, corrige Voltaire, le
catholique banni. Ou Nature, sourit Spinoza, le juif excommunié.
Mais quel bonheur d’être unis dans la
sagesse.
Athées, peut-être.
Humains sans aucun doute.
Humaines les silhouettes des satiristes
flottant au centre de la vignette, oiseaux envolés pour ne plus retoucher
jamais terre.
En démocratie où le fanatisme est devenu
terrorisme, ils ont préféré en rire dans
un journal. Le rire est le propre de l’homme.
La raison, la parole et la liberté sont
le propre de l’homme.
Et la philosophie et l’humour les armes
de l’esprit fourbies par l’ironie.
Les corps s’exécutent mais les traits
déjà tirés – mots ou dessins - sont des balises à ignition différée.
Alors en bas sur l’image, face aux terroristes,
la foule défile.
- Le monde est devenu fou,
pleure-t-elle.
- Non, il l’est resté, soupirent Spinoza
et Voltaire.
La foule se serre à l’abri du même vœu
prononcé mais n’en tait-elle pas d’autres, inavouables ?
La foule est, un moment encore, éclairée
par l’aura des humoristes.
Spinoza et Voltaire vont partager avec
eux cette aura comme l’instant d’une allumette dans la nuit.
Mais ils ont souvent constaté la
préférence de la majorité des hommes pour l’ombre.
Le Garn,
janvier 2015