J’avoue ne pas comprendre
ce roman.
Ses pages
m’enveloppent d’une sensation de perdition étrangère à la logique et mettent
mon esprit dans un état inaccoutumé que je nomme par comparaison avec mes
habitudes de lecture “absence de compréhension ”.
Pourtant, Le ravissement de Lol V. Stein raconte
une histoire qui n’est en rien absurde. Elle est énigmatique. Elle procure le
plaisir retrouvé des secrets de l’enfance. Sans frustration.
Le ravissement de Lol V. Stein comble un
manque que trop de rationalité avait creusé.
Évidemment, il
suffirait que je consulte l’un des nombreux dossiers et études qui lui ont été
consacrés pour être éclairée. Peut-être y découvrirais-je que je suis
simplement une lectrice peu perspicace. Ou
je plongerais dans les arcanes de la psychanalyse et de ses symboles, dans le
commentaire littéraire et ses savantes supputations – vilain mot qui ressemble
à suppuration.
Mais cette tentation
ne m’effleure pas. Le ravissement de Lol
V. Stein, dont j’aime à entendre encore le titre mélodique, est un long poème en prose à relire inlassablement.
« J’invente » répète le
narrateur pour lequel aussi la personnalité de Lol est un mystère. J’invente.
Et je suis Lol qui parcourt le quadrillage des rues de S. Thala dans son
manteau gris léger sur sa robe blanche. Et qu’importe si c’est dans une autre
scène qu’elle est ainsi vêtue.
Savons-nous
traduire toutes les paroles d’un opéra écrit dans une langue que l’on ne
pratique pas ? Et ces chansons anglo-saxonnes dont nous raffolions adolescents,
que leur traduction nous aurait déçus… La musique suffit. Dans Le ravissement de Lol V. Stein, Duras
est un compositeur d’autant plus talentueux qu’il ne dispose que de l’orchestre
des mots. Duras est compositeur en étant parolier. Elle a cette inimitable
façon de jouer des initiales. T. Beach ou S. Thala sont des villes exotiques
parce qu’à demi nommées. Et combien plus évocateur est le prénom Lol V. que
Lola Valérie !
Alors relire Le ravissement de Lol V. Stein me fait
funambule sur une crête entre la Duras que j’admire tant, celle par exemple du Barrage contre le Pacifique, des Petits chevaux de Tarquinia, de Moderato cantabile, des cahiers parus à
titre posthume et celle dont l’hermétisme d’autres textes me rebute. Car il y a
une façon désagréable de ne pas comprendre un roman, c’est de n’y trouver ni
sens ni mystère mais des indices qu’il n’a été écrit que pour la satisfaction
ou, pire, le soulagement de son auteur.
Marguerite
DURAS, Le ravissement de Lol V. Stein,
1964.
Le Garn, juillet 2014.