L'auteur

Titulaire d'un Doctorat en philosophie et d'une maîtrise en histoire, l'auteur est restée fidèle à ses deux «initiateurs» en philosophie, Nietzsche et Kierkegaard, mais admire tout autant Spinoza, Russell, Arendt...
Marie-Pierre Fiorentino

jeudi 12 août 2021

Balco Atlantico ou le roman d’un pessimiste lumineux.

                                                                                                                                                    À Mathylda

 

Prononcer, mentalement ou à voix très basse, comme un secret, le titre du roman de Jérôme Ferrari procure la sensation d’ouvrir une porte vers un univers aussi étrange que connu. Cela se produit parfois dans les rêves.

Balco Atlantico, Balco Atlantico…

Mais les rêves, surtout ceux des jeunes-filles, qu’elles s’appellent Hayet au sud de la Méditerranée ou Virginie plus au nord, en Corse, peuvent être aussi le prélude de tragédies sanglantes.

 

Ce pessimisme que Ferrari cultive ne me déplaît pas, qui sait suggérer la palpitation joyeuse des espérances, fiévreuse des désirs charnels, entrepreneuse des volontés sûres que l’on ne peut pas perdre ce que l’on n’a pas.

Son pessimisme n’est donc pas une objection contre Ferrari qu’il faut lire pour se laver de l’argumentaire d’un Pascal ou autre Schopenhauer. Aux pages les plus sombres de Balco Atlantico ( 2008 ) s’entrelacent de lumineux accords. La sororité étymologique depuis la mère latine lux fait de la lumière sur les terres de Méditerranée la métaphore de la lucidité. Or, la lucidité de Ferrari refuse de réduire l’existence à un système nécessairement obscur. Elle nous dit que ce que l’on suppose être le bonheur ne dure pas, ce qui revient à dire que le malheur non plus. Ferrari sait rendre le pessimisme éblouissant.

 

Ce pessimisme est autant tragique que comique, à l’instar de ce professeur de sociologie schizophrène déjà rencontré, à travers de délirantes péripéties, dans Variétés de la mort ( 2001 ). Balco Atlantico devient à son tour l’esquisse, ô combien touchante, du Sermon sur la chute de Rome ( 2012 ), rapprochant son auteur d’un Balzac ou d’un Zola qui, chacun dans un genre différent, fait grandir, dans tous les sens du terme, certains de ses personnages au fil des volumes.

On observe comment des hommes deviennent de pauvres types puis d’abjects assassins sans comprendre pourquoi. Car le pessimisme n’est possible que dans l’acceptation de l’absurde, de l’absence de sens. Le monde serait meilleur sans eux mais ils existent, contraignant celui-ci à faire avec. En quoi leur présence relève-t-elle d’une nécessité ou d’un déterminisme ? D’un certain point de vue, Un Prophète ( 2009 ) de Jacques Audiard a des accents « ferrariens »

.

Balco Atlantico traverse l’histoire, c’est-à-dire le destin des générations dans un espace et un temps aux distorsions troublantes, dont les limites semblent receler d’autant plus de risques qu’elles sont extensibles. Mais le plus grand risque n’est-il pas de n’en prendre aucun ? L’immobilisme est un double leurre : il ne protège de rien car il n’a pas de réalité, même au fin fond de son île. Le temps anime les êtres et l’espace qu’ils ne conquièrent pas eux-mêmes finit par les envahir.

 

Lire Jérôme Ferrari, c’est n’être nulle part à l’abri. Il n’y a pas d’abri.

 

 

Le Garn, 11 et 12 août 2021.