« Certaines
personnes s’aident elles-mêmes
en aidant les
autres et cela les ragaillardit
parce que
c’est exercer un pouvoir. »
Iris Murdoch,
Amour
profane, amour sacré.
Le
« plus fort », la « plus forte » sont la dernière digue
derrière laquelle on s’abrite, confiant, quand toutes les remparts, qui nous
paraissaient pourtant solides, ont cédé. Jamais on ne les verra pleurer ou, si
des larmes brillent, leur retenue inspire le même respect que le diamant,
inaltérable. Leur sourire, leur regard, droits plantés dans le nôtre, tendent
un câble qui tient debout ceux dont personne ne peut soutenir le poids du
désarroi.
Ils écoutent
sans rien confier d’eux, que ce qui rassure. Seule leur lucidité est muette. Alors
ils mesurent la parole, l’attention, la caresse à la dose qui les rend
contagieuses, comme un rire salvateur. Ils ont murmuré et murmurent, pour soutenir
jusqu’au bout, dans toutes les antichambres du mal – des chambres à gaz aux
chambres de torture – dont la chronologie n’a ni début ni fin. Mais ici aussi, dans
la banalité de toutes nos petites et grandes détresses quotidiennes, ils
soutiennent sans se lasser.
Ils sont ceux
sur lesquels on peut indéfectiblement compter.
Leur force se
nourrit de la confiance quasi infantile qu’on leur accorde. Elle est peut-être
née de la découverte que « papa » ou « maman », quand ils
sont les noms que l’on crie dans le noir, n’étaient que les métaphores de ce
qu’ils devraient produire eux-mêmes pour traverser, plus libres que d’autres,
l’existence.
De là leur
fierté, non pas la fierté qui les ferait se sentir supérieurs mais la fierté de
se comparer à ce qu’ils étaient. Car le plus fort, la plus forte ont toujours
été, initialement, d’une grande vulnérabilité dont ils ont décidé qu’ils ne
resteraient pas les victimes.
D’ailleurs, ils
savent qu’ils ne sont pas réellement « le plus fort », « la plus
forte », endossant simplement ce rôle, puissants de l’abandon de tous ceux
qu’ils protègent. Exercer un pouvoir ? Je ne crois pas sauf, peut-être, le
pouvoir sur eux-mêmes, qui n’est pas le moindre.
Mais où
s’abritent-ils, dans la tempête ? Dans cette sorte de devoir auquel ils
s’obligent, par politesse, par gentillesse, par orgueil, par peur ? Qui sait
si, comme le cheval imaginé par Ulysse, ils ne sont pas creux de l’intérieur,
assiégés par ceux qu’ils portent ?
Et si un
jour…
Chut… Cela ne
doit pas se produire.
Le Garn, 2021 ?
2022 ? – 29 décembre 2023