Mon ennemi me le demanderait-il que
je pourrais peut-être lui pardonner. Il n’a fait que brandir les atours de la
guerre : ses mensonges comme armes et sa méfiance en bouclier. N’ayant
rien d’autre à attendre de lui, le pardon ne me coûtera guère.
Mais toi, mon ami, pourrais-je te
pardonner si tu uses de tels procédés à mon égard ? Ne trouverais-tu pas
l’assurance dans la profondeur de notre complicité pour éprouver le besoin de te
protéger ? Se protège-t-on d’un ami ? A moins que tu ne saches l’être
pleinement et que la méfiance que l’amitié normalement détruit ne soit
qu’assoupie en toi.
Tu deviendrais, mon ami, pire que mon
ennemi en m’ôtant la possibilité de te pardonner. Car si le pardon doit avoir
un sens, il ne pourrait en avoir pour ton comportement insensé. Et puis le
pardon est un don de soi. Or ne me serais-je pas déjà offert à toi en te
donnant ma foi ?
A moins que l’on n’ait rien à se
pardonner entre amis mais tout à comprendre.
Quant à toi, mon amour, si tu te
méfies et me mens, te traiterais-je en ennemi ou en ami ? Le pardon ne
laisserait-il pas entre nous son indélébile relent de vassalité ? Car l’on
est toujours redevable à celui qui nous a pardonné, attaché à celui que l’on a
pardonné – que l’on se sent moralement grand grâce à lui ! Ces rôles pour
nous me déplairaient.
Et puis c’est la paix que je
cherchais dans l’amour de toi.
Alors ne pas te pardonner pour mieux
te comprendre ? Je ne me comprends déjà que trop bien dans cette
agitation de paradoxes. La lucidité va bien au-delà du pardon.