« … le principe
consista d’abord dans votre conviction que nous n’atteindrons
jamais le fond des
choses, non en vertu d’une malédiction ou de la faiblesse
de nos facultés,
mais pour la raison définitive et radicale […]
que les choses n’ont
pas de fond. »
Jérôme Ferrari, Le
principe.
Ponctuer de plus en plus fréquemment mes
phrases d’un « peut-être » bientôt effacé m’intrigue. Et si j’étais
devenue sceptique ?
Effacé ? Pour une raison de style.
Celui-ci ne supporte pas la répétition. C’est ennuyeux si l’idée lui est
sacrifiée ( chemin de la vacuité ). Mais c’est aussi l’occasion de repenser sa
pensée. Pas d’approfondissement sans le doute.
Au passage, quelle écriture pour le
scepticisme ?
Mes « peut-être » sont rarement
relativistes. Ils ne sont pas les héritiers directs des sceptiques de
l’Antiquité ou de Montaigne auxquels se posait la question de la vérité comme
référence universelle. Comment déterminer par exemple, se demandaient-ils, si
une loi à la base du Droit dans tel pays est bonne ou mauvaise puisqu’elle est
considérée injuste dans un autre ?
Ce scepticisme donne à comprendre que la
variation de point de vue empêche la vérité absolue d’exister. C’est un argument
que je ne nie pas mais par lequel je ne suis pas convaincue. Ce n’est pas parce
que je n’espère aucune vérité absolue que je ne tiens pas à quelques principes
fondamentaux.
Mais le relativisme écarté, quel autre
motif au scepticisme ?
Les états successifs de ma conscience.
Mon esprit les éprouve avec la même
netteté que mon corps les sensations. Si tous existent en interaction avec le
monde extérieur, ils n’en sont pas moins les miens et peu importe leur
intensité, leur portée comparées à celles avec lesquelles d’autres les
éprouveraient.
Ces états de conscience, comme mes sensations,
ont une indéniable réalité. Ils tissent mon existence. Ils signent la mort,
pour cause d’inutilité, du relativisme.
Mais si je ne doute pas de la fiabilité de
ces données en tant que données de mon expérience, de quoi alors ?
De leur capacité à faire de cet être que
j’appelle « moi » un être que je saurais définir. Il s’agit pourtant
moins de connaissance de soi que d’acceptation d’une mouvance essentielle.
Mon scepticisme aspire à l’aptitude à
exister en devenir sans qu’il s’agisse pourtant de devenir « moi-même »,
ce supposé point fixe ( et fixé d’avance) auquel je ne crois pas.
Un scepticisme existentiel, donc.
Mais aussi renoncer à savoir avec
exactitude où je vais sans perdre le désir ni la volonté d’y aller. Me libérer
de trop de certitudes pour faire tomber les filtres égocentrés à travers
lesquels je juge les autres et le monde.
Un scepticisme comme politesse raisonnée
du décentrement de soi.