L'auteur

Titulaire d'un Doctorat en philosophie et d'une maîtrise en histoire, l'auteur est restée fidèle à ses deux «initiateurs» en philosophie, Nietzsche et Kierkegaard, mais admire tout autant Spinoza, Russell, Arendt...
Marie-Pierre Fiorentino

samedi 30 juin 2018

Comment je deviens sceptique.


« … le principe consista d’abord dans votre conviction que nous n’atteindrons
jamais le fond des choses, non en vertu d’une malédiction ou de la faiblesse
de nos facultés, mais pour la raison définitive et radicale […]
que les choses n’ont pas de fond. »
Jérôme Ferrari, Le principe.


Ponctuer de plus en plus fréquemment mes phrases d’un « peut-être » bientôt effacé m’intrigue. Et si j’étais devenue sceptique ? 
Effacé ? Pour une raison de style. Celui-ci ne supporte pas la répétition. C’est ennuyeux si l’idée lui est sacrifiée ( chemin de la vacuité ). Mais c’est aussi l’occasion de repenser sa pensée. Pas d’approfondissement sans le doute. 
Au passage, quelle écriture pour le scepticisme ?

Mes « peut-être » sont rarement relativistes. Ils ne sont pas les héritiers directs des sceptiques de l’Antiquité ou de Montaigne auxquels se posait la question de la vérité comme référence universelle. Comment déterminer par exemple, se demandaient-ils, si une loi à la base du Droit dans tel pays est bonne ou mauvaise puisqu’elle est considérée injuste dans un autre ?  

Ce scepticisme donne à comprendre que la variation de point de vue empêche la vérité absolue d’exister. C’est un argument que je ne nie pas mais par lequel je ne suis pas convaincue. Ce n’est pas parce que je n’espère aucune vérité absolue que je ne tiens pas à quelques principes fondamentaux.
Mais le relativisme écarté, quel autre motif au scepticisme ?

Les états successifs de ma conscience.
Mon esprit les éprouve avec la même netteté que mon corps les sensations. Si tous existent en interaction avec le monde extérieur, ils n’en sont pas moins les miens et peu importe leur intensité, leur portée comparées à celles avec lesquelles d’autres les éprouveraient.
Ces états de conscience, comme mes sensations, ont une indéniable réalité. Ils tissent mon existence. Ils signent la mort, pour cause d’inutilité, du relativisme.
Mais si je ne doute pas de la fiabilité de ces données en tant que données de mon expérience, de quoi alors ?

De leur capacité à faire de cet être que j’appelle « moi » un être que je saurais définir. Il s’agit pourtant moins de connaissance de soi que d’acceptation d’une mouvance essentielle. 
Mon scepticisme aspire à l’aptitude à exister en devenir sans qu’il s’agisse pourtant de devenir « moi-même », ce supposé point fixe ( et fixé d’avance) auquel je ne crois pas. 
Un scepticisme existentiel, donc.
Mais aussi renoncer à savoir avec exactitude où je vais sans perdre le désir ni la volonté d’y aller. Me libérer de trop de certitudes pour faire tomber les filtres égocentrés à travers lesquels je juge les autres et le monde.

Un scepticisme comme politesse raisonnée du décentrement de soi.


Le Garn, juin 2018.