Dans la tradition patriarcale, féminiser un terme satisfait le désir
d’avilir ceux auxquels il s’applique. Certaines injures n’existent d’ailleurs
qu’au féminin, par exemple “ chochotte ” ; l’homme soupçonné de manquer de courage se
voit ainsi ramener à ce qui semble le plus humiliant à l’insulteur : la féminité.
De même la majorité des mots utilisés pour désigner les homosexuels est
féminine : tante, tarlouze, taffiole... Dans une relation avec son sembable, on
imagine que l’homme se fait femelle puisqu’il se laisse pénétrer par un
attribut qui n’appartient qu’au mâle. On objectera que PD est bel et bien
masculin mais ceux qui l’emploient ignorent son sens premier. Qu’ils lisent le
tome II de L’Histoire de la sexualité
de Michel Foucault ; ils y découvriront au passage qu’être homosexuel et
effiminé sont deux comportements très différents. Les Grecs, qui fustigeaient
le second pour des raisons identiques à celles de notre culture bâtie sur
l’équivalence “ valeur = virilité ”, s’accomodaient du premier, souvent apanage
des figures valeureuses de guerriers.
Dans cette
perspective, féminiser les noms de métiers représente une revanche. Mais jusqu’à
quel point ? La masculinisation de sage-femme en “ maïeuticien ” – appelation
donnée par exemple dans les guides d’orientation scolaire – laisse un goût de
victoire amère si on le compare, par exemple, à la féminisation de “ jardinier
” en “ jardinière ” : résonance socratique pour l’homme, relent de bac à fleurs
et de préparation culinaire pour la femme. Si sur le principe l’égalité
grammaticale est nécessaire à l’égalité sociale, l’usage inéluctablement ancré
dans l’histoire sémantique peut s’avérer délétère. Et si je comprends la femme
qui exige d’être appelée “ Madame la Présidente ”, cette victoire du présent me
semble présager une menace pour l’avenir.
Conserver le
masculin est au contraire un marqueur plus net de l’histoire sociale. L’existence
grammaticale exclusive du masculin rappelle l’exclusion professionnelle
systématique dont les femmes furent victimes. La femme est aujourd’hui Président
parce qu’elle a conquis ce poste jusque là interdit en raison de son sexe. Puisqu’elle
porte le même titre, elle est dans sa fonction l’égal de son homologue
masculin.
Certes, féminiser
témoigne que le masculin n’a pas de raison de l’emporter sur le féminin, dans
le vocabulaire comme ailleurs. Une femme peut réparer une voiture comme un
homme ; elle peut donc être mécanicienne ; mais que la personne qui répare la
voiture soit homme ou femme, qu’est-ce que cela change ? Mais si ça ne change
rien, alors pourquoi un nom grammaticalement variable pour une fonction
identique ?
À travers ce débat
deux conceptions s’opposent : féminiser les noms de métiers consiste à
reconnaître des compétences équivalentes chez des personnes de nature
différente, conserver le masculin consiste à faire abstraction du corps pour ne
tenir compte que des qualifications et des compétences ( 1 ) .
Si la grammaire
n’offre que les deux possibilités évoquées ci-dessus, ce qu’elle sous-tend est
beaucoup plus vaste et laisse la place à la création de nouvelles
représentations. Or, l’avenir dépend de cette création. Ainsi la grammaire
idéale comporterait un troisième genre qui ne serait pas l’absence de genre (
le neutre ) mais l’association des deux genres représentant une complémentarité
irréductible à la procréation. Cette grammaire ne mettrait plus en évidence les
différences inhérentes à la fonction reproductive mais les points communs entre
les deux sexes. Elle ne conserverait ainsi le masculin et le féminin que pour
les fonctions biologiques sexuées ( une femme a ses règles, un homme éjacule ).
Pour tous les autres cas relevant de la sphère sociale et non pas privée, ce
genre associé serait employé.
Voilà l’idéal. Dans
la réalité, la querelle risque de devenir le joujou politicien du bipartisme,
moyen le plus efficace de tout statu quo
social.
( 1 ) Certains m’objecteront, s’appuyant
sur Rousseau, que le corps n’est pas seul sexué, l’esprit l’est aussi. J’ai
déjà répondu à l’objection dans “ Par delà les genres ”, août 2014.
Le Garn, octobre 2014.