« Quelques
flocons de neige furent parsemés par des anges farceurs,
qui là-haut
dans les nuages s’amusaient à saupoudrer
ces petits Terriens ressemblant à des desserts dans leur bulle de verre. »
Les folles enquêtes de
Magritte et Georgette
ont la légèreté des déclarations d’amour pudiques qui,
dans l’appréhension de déplaire, préfèrent se prononcer en riant. Brodées au
fil des toiles du maître, elles constituent son musée le plus vivifiant à défaut
d’être le plus académique.
On y lit des évidences comme
« Les enfants ne sont pas là pour réparer les cœurs en miettes des
adultes. » Mais viendrait-il à l’idée de l’auteur de les écrire si elles
n’étaient pas lettres mortes dans la réalité où des êtres se déchirent par
intérêt, par vengeance, par souffrance ? Le genre policier, au second degré,
est le tableau de ce que nos rancœurs n’osent pas commettre tout en se repaissant
des faits divers les plus sordides. Simenon en a fait une œuvre.
Car les artistes, quels que soient le
mode d’expression et le ton qu’ils adoptent, ont le bon sens d’affronter le
monde dans une sphère où les coups ne sont pas mortels. Le peintre surréaliste,
héros avec sa femme et son chien de ces romans dominés par l’humour, met
beaucoup de sérieux – tenue rigidement impeccable et existence routinière – à
ne rien prendre au sérieux. La romancière traque dans son portrait les origines
tragiques ou fortuites de l’inspiration, les rituels de la création, les
aspirations équivoques à la reconnaissance que menace la compromission.
L’artiste est amateur d’art, qui
trouve chez ses semblables un refuge et un pays. Ainsi René Magritte lit-il
« le livre de Julien Gracq qu’il appréciait beaucoup, Un balcon en
forêt. […] Cette maison forte lui avait été inspirée par Aragon qui,
dans un passage de son roman Les Communistes, décrit un chalet
apparemment inoffensif dont le rez-de-chaussée était aménagé en blockhaus.
Autrement dit, la paix au premier étage et la guerre au sous-sol… N’était-ce
pas là le symbole de tout artiste ? ou même de la plupart des
hommes ? »
L’analyse ne va pas plus loin, cédant
aux répliques en langue originale – la française de Belgique – pour faire
entendre, entre autres, la voix bien haute de quelques réfractaires à l’art
moderne. La romancière suggère sans s’appesantir, comme une politesse à un
lectorat non initié qui a droit autant que l’autre à du plaisir artistique.
Cette légèreté, à l’appui d’une
solide documentation, produit un étrange effet : on a l’impression que
toutes les descriptions des tableaux de Magritte réveillent dans notre esprit
leur souvenir alors même qu’on ne les a jamais vus. Un souvenir ou la nostalgie
de ce qui n’existe pas ? Faciles à décrire parce que particulièrement
économes en objets figurés, se dégage de ces représentations une sensation
d’espace qui n’est pas du vide mais un luxe assez rare dans la réalité pour
qu’on comprenne que Magritte ait éprouvé le besoin de le créer et sa fervente
admiratrice de s’en faire l’interprète entre lui et nous.
Dans Les folles enquêtes de
Magritte et Georgette, l’accordéon des chansons de Brel fait valser des
hommes en chapeaux melon aux bras de femmes élégantes quoique nues. La scène se
rejoue dans une tournée où l’on visite des villes au nom exotiquement nordique,
Liège, Bruges, Knokke-le-Zoute, en y dégustant des spécialités.
Bref, rien de bien sérieux, que le
désir, à chaque page, de Bruxelles, son musée Magritte et le Café Georgette.
Nadine Monfils, Les folles
enquêtes de Magritte et Georgette, 1. Nom d’une pipe ( 2021 ) 2. À
Knokke-le-Zoute ( 2021 ) 3. Le fantôme de Bruges ( 2022 ) 4. Liège
en eaux troubles ( 2022 ), Robert Laffont.
Le Garn, 6-9 mai 2023.