L'auteur

Titulaire d'un Doctorat en philosophie et d'une maîtrise en histoire, l'auteur est restée fidèle à ses deux «initiateurs» en philosophie, Nietzsche et Kierkegaard, mais admire tout autant Spinoza, Russell, Arendt...
Marie-Pierre Fiorentino

mardi 9 mai 2023

L’art de ne pas se prendre au sérieux.


« Quelques flocons de neige furent parsemés par des anges farceurs,

qui là-haut dans les nuages s’amusaient à saupoudrer

ces petits Terriens ressemblant à des desserts dans leur bulle de verre. »


Les folles enquêtes de Magritte et Georgette ont la légèreté des déclarations d’amour pudiques   qui, dans l’appréhension de déplaire, préfèrent se prononcer en riant. Brodées au fil des toiles du maître, elles constituent son musée le plus vivifiant à défaut d’être le plus académique. 

On y lit des évidences comme « Les enfants ne sont pas là pour réparer les cœurs en miettes des adultes. » Mais viendrait-il à l’idée de l’auteur de les écrire si elles n’étaient pas lettres mortes dans la réalité où des êtres se déchirent par intérêt, par vengeance, par souffrance ? Le genre policier, au second degré, est le tableau de ce que nos rancœurs n’osent pas commettre tout en se repaissant des faits divers les plus sordides. Simenon en a fait une œuvre. 

 

Car les artistes, quels que soient le mode d’expression et le ton qu’ils adoptent, ont le bon sens d’affronter le monde dans une sphère où les coups ne sont pas mortels. Le peintre surréaliste, héros avec sa femme et son chien de ces romans dominés par l’humour, met beaucoup de sérieux – tenue rigidement impeccable et existence routinière – à ne rien prendre au sérieux. La romancière traque dans son portrait les origines tragiques ou fortuites de l’inspiration, les rituels de la création, les aspirations équivoques à la reconnaissance que menace la compromission.

L’artiste est amateur d’art, qui trouve chez ses semblables un refuge et un pays. Ainsi René Magritte lit-il « le livre de Julien Gracq qu’il appréciait beaucoup, Un balcon en forêt. […] Cette maison forte lui avait été inspirée par Aragon qui, dans un passage de son roman Les Communistes, décrit un chalet apparemment inoffensif dont le rez-de-chaussée était aménagé en blockhaus. Autrement dit, la paix au premier étage et la guerre au sous-sol… N’était-ce pas là le symbole de tout artiste ? ou même de la plupart des hommes ? »

 

L’analyse ne va pas plus loin, cédant aux répliques en langue originale – la française de Belgique – pour faire entendre, entre autres, la voix bien haute de quelques réfractaires à l’art moderne. La romancière suggère sans s’appesantir, comme une politesse à un lectorat non initié qui a droit autant que l’autre à du plaisir artistique.

Cette légèreté, à l’appui d’une solide documentation, produit un étrange effet : on a l’impression que toutes les descriptions des tableaux de Magritte réveillent dans notre esprit leur souvenir alors même qu’on ne les a jamais vus. Un souvenir ou la nostalgie de ce qui n’existe pas ? Faciles à décrire parce que particulièrement économes en objets figurés, se dégage de ces représentations une sensation d’espace qui n’est pas du vide mais un luxe assez rare dans la réalité pour qu’on comprenne que Magritte ait éprouvé le besoin de le créer et sa fervente admiratrice de s’en faire l’interprète entre lui et nous.

 

Dans Les folles enquêtes de Magritte et Georgette, l’accordéon des chansons de Brel fait valser des hommes en chapeaux melon aux bras de femmes élégantes quoique nues. La scène se rejoue dans une tournée où l’on visite des villes au nom exotiquement nordique, Liège, Bruges, Knokke-le-Zoute, en y dégustant des spécialités.

Bref, rien de bien sérieux, que le désir, à chaque page, de Bruxelles, son musée Magritte et le Café Georgette.

 

Nadine Monfils, Les folles enquêtes de Magritte et Georgette, 1. Nom d’une pipe ( 2021 ) 2. À Knokke-le-Zoute ( 2021 ) 3. Le fantôme de Bruges ( 2022 ) 4. Liège en eaux troubles ( 2022 ), Robert Laffont.



Le Garn, 6-9 mai 2023.